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Souvenirs de vacances

 

Autour d'une bouteille d'un vin du pays, j'ai parlé d'un écrit. Christian m'a répondu par un livre de recherche historique sur le village où il est né et où il vit, Blanquefort, près de Bordeaux. Sa famille a donné son nom à la rue où il habite. Avec des chercheurs de ce lieu, animés de la même passion, il a participé à la rédaction et à la parution de la description de la vie de leur village sous la révolution. Leur premier maire était un curé révolutionnaire. L'air curieux, j'ai commencé à feuilleter l'exemplaire du livre qu'il m'a offert. J'ai annoncé que j'ai ouvert une histoire, avec trois personnages, un triptyque que se refermera le 13 juillet 1789. J'ai fait comme il faut. En prononçant les mots, sans en oublier, ils s'additionnent et disent qui nous sommes. Ils aident à voir notre égal, à multiplier la probabilité de devenir Un. Je lui ai dit : « J'utiliserai ce travail pour continuer mon bouquin.» J'étudierai l'Histoire reconstituée pour tenter de construire une histoire imaginée. Il m'a encouragé. Cette histoire-là, la rencontre autour d'une bouteille d'un vin du pays, si importante, à mon avis, fait-il l'écrire ?

La Croix blanche – Domaine de Bernou – Lot et Garonne

Saint-Exupéry serait venu ici. Pour écrire ou ne rien faire ? Ne rien faire, c'est prendre le temps d'attendre les mots, de laisser mûrir au soleil et à l'eau le désir de venir ; c'est leur donner la goulée nécessaire pour grandir avant de finir leur vie dans l'écrit, gorgée de Paradis et d'enfer. C'est les laisser cheminer et prendre de la hauteur avant de s'emparer de l'auteur. C'est leur donner une chance de ne pas exister. Les mots dessinent le contour de leur réalité. Même imaginés, ils voilent un lacté d'infinis. Même sublimés, les mots dits disent la fin de ce qu'on aime. Les mots sont un moindre mal pour panser nos plaies et penser ce qui nous plaît. Écrire serait-ce une façon de s'approcher de l'indicible sans se décider ? Les mots aussi nombreux soient-ils disparaissent dès qu'ils convergent dans le trou noir du désir ultime, moment mémorable devenu inconnu.

Les Sables d'Olonne, Galerie de Jean-Claude Guignardeau

Elle qui aime les vraies fleurs,

celles qui fanent et qui meurent quand c'est l'heure,

a arrêté le temps,

le temps de scruter un bouquet de peinture, figé dans des couleurs.

À Lacapelle-Marival

En entrant au château, un visiteur a visualisé les artistes exposés aux voyants du présent. L'un, Werner Van Hoyland, a peint un dessin sur sa peinture. Le volume de l'esquisse transparente, tracée comme au crayon noir sur un papier calque, scotché sur les couleurs, est plat: «Ne pas toucher.» La totale illusion a fixé son chemin au bout du crayon du pinceau. La mort est translucide. La vie se charge du reste.

À Collonges-La-Rouge,

Il est entré dans la boutique, remplie de sorcières. Sans doute, l'idée d'une femme ou d'un homme qui l'a été autrefois. Il s'est souvenu de tes paroles au sujet de l'une d'elle, seulement connue de toi. Il a choisi celle qui s'est laissée glisser dans un pli cacheté, accompagnée d'un mot. Puisque le balai ne paraissait pas vrai, il l'a posté.

 

La vie durant

En Ardèche, table d'hôte au « Hameau Gourmand » : Une messe sans recueillement. Le ton non solennel dit son rite. Même si le retour autour de l'immense table est attendu, les règles établies sculptent dans les instants imprévus une mer de magies. Un repas comme un autre, chaque fois tellement différent.

De cette prouesse, nous tirons le vin et fendons le pain. Du rite, nous prenons dans l'ordre les impressions impossibles à définir ; elles habillent notre cœur et notre âme comme une grande cape honorant le clan du plaisir. Nous sommes des profanes et nous y croyons.

Après le repas du soir, bâti par une douzaine de convives, repas de qualité dans toutes ses saveurs et ses savoirs, je suis allé boire un verre pour voir le village de St Martial.

À la terrasse du bar ouvert au pied du clocher, j'ai écouté l'odeur des mots. J'ai bu les pouvoirs du moment, échangés entre deux gorgées de la boisson servie par le maître des lieux à la demande des intervenants.

Ai-je bien entendu ? Camus aurait couché sur du papier des souvenirs et des vies d'ici, en un autre temps. De l'autre côté de la rue, sous le clocher, le livre des péchés repose en paix.

De ce côté de la chaussée, à hauteur de rue, les pages de l'auteur connu renaissent de leurs cendres à chaque moment, à chaque mot, à chaque gorgée, à chaque silence par le pouvoir des lèvres.

Un matin, j'ai escaladé le dessus de ma chambre presque construite dans le rocher, blotti sous un toit pour se préserver. J'ai posé mes pieds au pied d'un arbre pour avancer doucement à côté sans le déranger et j'ai respiré. Qu'il est doux de se lever ainsi et de regarder les branches s'étendre et dire la direction à suivre ! Qu'il est doux de voir son regard se poser sur mille lieux réunis en un seul, sur mille visions unies en une image, sur mille images animées d'un regard!

Une manifestation de l'eau, le torrent. Nu dans l'eau du torrent, le corps inondé du soleil solitaire, le courant m'enserre de toute sa froideur et me pénètre de mille rayons d'eau. La lumière lave mon âme, essorée par une infinité de tourments du torrent, retenu un instant seulement par un rocher, moment invisible à l’œil nu. La pierre, lissée par l'eau, fait le dos rond. Elle prend le temps, sous elle, d'être caressée la vie durant.

Le torrent serait le bruit de l'infini si l'infini avait un bruit. Il serait le début, le cours et la fin de toute source de vie si la vie avait une source. Il coule, il s'assèche, il se gonfle, il déborde, il se mélange, il façonne, il est façonné, il tourne, il file, se faufile, il tombe en cascade, il accueille, il apaise, il intrigue, il compose. Il fait son chemin.

Sur la berge : « La Gaillarde » me tend ses pétales, jaunes vers le soleil, rouges autour du cœur. La cueillir, c'est lui ôter la vie. La laisser, c'est se priver d'un bonheur. Qu'en pense-t-elle ?

Le lendemain : J'ai bu chez Jean, j'ai bu chez Paul. J'ai cuvé chez François. Le lendemain, j'ai vu les jambes de Ève, la compagne de Pierre. J'ai vu le string de Marie, la femme de Louis. Et, moment inoubliable, la compagne du peintre m'a confié cinq nouvelles, écrites par elle. J'ai bu. J'ai lu. J'ai lu. J'ai lu.

Dans le Chenal

Les «épouses du temps» l'accompagnent, le temps des vacances. En ce vendredi du mois d'août, ses yeux peignent du regard les mots pensés sur la toile de Klimt.

Les pieds, plongés dans le chenal, pétrissent la coulée d'infini. Son corps voit la marrée se fixer comme une idée originale et l'aider à toucher le point du non-retour, intimité où logent les objets et les êtres aimés, le temps que la mort et la vie en fassent le tour.

Elle apprend, à cet instant précis, qu'émotivité est un mot grossier qui voile la partie ciselée de l'âme, taillée comme un outil.

En marchant, les pieds nus dans la vase, elle saisit la nudité comme une matière et sa forme, sculptée dans un trait d'illusion.

Carennac

Sur la place du village, deux fesses taillées dans le marbre, laissent couler deux jambes d'une jeune fille figée. Une culotte dentelée abrite la fente ciselée et polie, protégée ainsi des intempéries. De l'autre côté du monument public, le sculpteur a tiré de la pierre le sexe grossi de la jeune femme qui s'expose au vent. Paul a déposé à ses pieds un bouquet de temps dont les fleurs faneront le moment venu. Il continue à chercher du regard l'égérie dans les rues. Un jour, il écrira son nom en lettres de plomb sur les deux côtés de l’œuvre, élevée à la mémoire du cul mal connu.

À Périgueux

La nuit s'est amarrée à un toit de la rue moyenâgeuse Port-de-Graule, affluent de la Dordogne. Sur les tétons byzantins de la Cathédrale de Saint Font, il bruine.

En mer

Non loin du port de l'île d'Yeu, l'opinel a servi à couper la corde qui retenait l'ancre, abandonnée. Arrivés à Saint-Martin de Ré, nous longions le bord de la scène, montée autour du chenal. Des acteurs par milliers occupaient leur imaginaire à merveille. Nous avons amarré, débarqué, regardé et jeté l'encre.

En fin de journée,

dans le seul lieu du village, animé par la lumière, la musique et des habitants de tous âges, il boit sa bière. En début de nuit, la patronne va vers lui, s'assoie et se met à parler. Elle se confie. Venu deux ou trois fois, il serait devenu un familier. Elle fait la pause. Dans l'échange, elle dit son origine. Arménienne, lui la voit gitane dans son imagerie. Elle a été à Saintes-Maries. Si elle dansait, là, devant lui, il la suivrait. Il fut un temps, il aurait fuit. Là, l'envie de vivre sa nuit en elle, il ose. Elle dit qu'il faut « aimer » pour faire la pause.

En fin de journée, il aime aller seul dans le seul endroit de ce village, connu de lui, où une femme est animée du seul désir d'aimer et d'être aimée.