À Saint Martial
Le jour s’est levé sur le village de Saint Martial ; c’est le jour du marché.
Les producteurs de fromages, de charcuteries, de volailles, de confiseries,
de tous les produits de cette partie de l’Ardèche installent leurs étals. Il est tôt.
Le décor se met en place sur la place où s’élèvent les tréteaux.
Très peu de passants sont présents pour participer à cette ouverture !
Curieusement, parmi ceux qui ont choisi de venir, en ce début de journée,
l’homme qui a parlé de Camus, hier soir, au bistrot, est là, dans la rue,
bordée de tous côtés de tant de lots si agréables à regarder et à goûter.
Bonjour Monsieur, j’ai grand plaisir à vous rencontrer.
J’étais à la terrasse du café, hier soir, et je vous ai écouté parler.
Je ne suis pas sûr d’avoir bien entendu. J’aurais souhaité en savoir plus.
Camus a-t-il vraiment écrit sur les habitants de la commune ?
Où puis-je en trouver le contenu ? J’ai remarqué combien certains auditeurs
vous écoutaient avec attention comme s’ils étaient les acteurs de cette évocation.
J’essaie d’écrire un texte à ce sujet ; serait-il possible de m’aiguiller ?
Je comprends, ce n’est pas évident de m’en parler d’autant que je suis un étranger.
Vous est-il possible, cependant, de me donner des pistes ?
Vous m’avez mis l’eau à la bouche.
Maintenant que je désire tellement trouver une suite
je suis là en train de vous importuner. À ce moment précis,
un producteur du pays s’engage avec sa camionnette
dans le passage devenu si étroit.
Tous deux sommes obligés de nous glisser sur un côté, l’un contre l’autre,
serrés entre les produits fermiers, pour le laisser passer. Allait-il-en profiter
pour éluder mes interrogations ou s’engouffrer dans notre proximité pour tenter
de m’informer sur les mystères de sa cité ?
C’était comme si cette intimité imprévue,
presque incongrue, avait débloqué son propos au sujet des écrits de Camus.
Le père du boucher, qui était en face de vous, était donc devenu le personnage
d’une histoire. Et la dame qui écoutait non loin de vous,
avait-elle un lien avec cela ?
À sa réaction, exprimée en un éclair,
j’ai compris que j’aurais mieux fait de me taire ;
C'était, sans doute, la question à ne pas poser ?
Qu’était-il arrivé pour que son visage
réagisse avec une telle solennité ? J’ai préféré le remercier,
le saluer et continuer mon chemin.
Ce jour-là, j’ai compris à mes dépends à quel point le passé
était encore présent chez ces habitants. Il me reste à continuer ma quête
en recherchant les traces d’un bouquin où l’écrivain aurait rassemblé ces êtres.
Au côté des achalandages si denses et si accueillants, je reste encore interloqué
par tous les silences de mon compagnon de la place du marché.
N’ai-je pas, par mon impatience, fait preuve d’impertinence ?
N’ai-je pas violé l’histoire d’un village et la mémoire de ses habitants ?
Camus aurait-il pu imaginer les conséquences de ses écrits ?
Qu’il serait entré, d’une certaine façon, dans des vies et des maisons ?
Le narrateur qui m’a amené sur cette voie est parti. Je me retrouve seul
avec l’auteur avant même de l’avoir rencontré. Monsieur l’écrivain,
là où vous êtes, vous est-il possible de m’épauler ? Je comprends que, pour vous,
là où vous êtes, ce n’est pas évident de m’en parler
d’autant que je suis un étranger.
Vous aussi, vous m’avez mis l’eau à la bouche ;
maintenant, je désire que vous m’aidiez.
Je ne veux pas vous importuner ; cependant, vous est-il possible, là où vous êtes,
de m’éclairer ? Je voudrais simplement terminer le travail commencé.
Cela ne vous est-il jamais arrivé ?
J’attendrai que, de là où vous êtes, vous décidiez
de m’envoyer quelqu’un. Je comprends, il va vous falloir un certain temps.
Je serai patient. Et je vous dirai, là où vous êtes,
comment j’aurai trouvé votre bouquin.