LE LAC DE SOPHIE MARIE

LE LAC DE SOPHIE MARIE


 

Le L a c esquisse une ombre dans le noir, la nuit venue.

Au cœur du village, le bar de la place accueille les habitués, réunis là,

le soir, par un rite, surtout le samedi. Par cette chaude nuit d’été,

le patron du café avait installé des tables sur une terrasse en bois ;

l’avancée empiète un peu sur la chaussée. Les villageois jouissent là

d’un point de vue sur la rue. Une voiture s’arrête parfois.

Une voix haranguant un occupant du bistrot déclame un mot :

« Bonsoir » ou «Comment ça va ?». Le patron se transporte de table en table

pour prendre les commandes. Il entend tout, même les non-dits.

Il voit, parfois, dans les yeux de villageois, une enfant paraître.

Les habitants l’appellent « Albert » pour remplir leur verre.

Les mots apaisent les lèvres, même celles qui se taisent ;

Les silences ponctuent les dires. De l’autre côté de la rue, le clocher

suit l’office de ce lieu de vie. Sa pointe trace des limites. Au-delà,

les étoiles fixent l’espace. Dans la nuit noire et chaude, les mots fusaient.

Le spectacle prend place à la terrasse. Le patron pressentait cela.

La place est-elle vraiment une place : une rue étroite ? D’un côté,

le clocher et son église, de l’autre, en face, le café et ses clients.

D’un côté, le noir de la nuit, de l’autre, les lumières de l’établissement.


 

CAMUS, l’écrivain, serait venu ici. Ce soir, il revit. Lui aussi se serait assis là,

sur les planches. Un homme jeune, portant des lunettes, en parle comme d’un familier.

D’après lui, l’auteur aurait écrit sur les habitants de la commune. D’après lui,

des villageois croyaient que le créateur s’était immiscé dans leur vie ;

ils se seraient reconnus personnages de Camus. Qu’auraient-ils lu ?

Des impressions encore marquées seraient nées au sein de la communauté,

comme des tensions, héritées de l’imagination et du passé. L’éclairage du café

éclaboussait l’âme des mots. À l’abri de ces éclats étincelants, une femme vivait

sereinement cela, une femme plutôt grande,

pas vraiment belle mais belle quand même

tellement pénétrée par les années écoulées. Elle laissait entrer en elle les paroles

du jeune homme entre ses deux cœurs vallonnés. Là, une icône gravée attendait ;

l’enfant du lac appelait. Le corps lâcha le verre, se leva, descendit de la terrasse,

mis un pied sur la chaussée, traversa la rue étroite, s’engouffra de l’autre côté,

antre d’obscurité.

 

À Saint Martial,

non loin des sources de la Loire,

au pied du village, flanqué sur la montagne,

le lac accueille une ombre dans le noir, la nuit venue.