Le questionneur questionné
Pourquoi as-tu commencé ton texte par « Je » ?
Qu’est-ce que tu me dis là ? Mon texte n’a pas encore commencé et tu me demandes déjà pourquoi je le commence par « je »,
laisse-moi écrire les premiers mots !
Après, tu me poseras des questions
puisque ce sont des questions que tu as envie de poser.
Je commence par te poser cette question parce que je te connais.
Tu as l’habitude de commencer tes textes par « Je ».
Ne me dis pas que ce n’est pas vrai!
Il est vrai que j’avais l’habitude de poser le « Je » au début de la phrase,
enfin au début de la première phrase et des autres peut-être.
Il y a tellement de façons de dire « Je ».
Aujourd’hui, je n’avais pas l’intention de commencer ainsi.
Ta question arrive trop tôt.
En tous cas, c’est ce que je pense au moment où je te parle.
«Au moment où tu me parles». Cela veut-il dire que tu va changer d’avis ?
Je sais que ça te démange de commencer par «Je».
Tu peux même dire que ça me grattouille mais au moment où j’essaie d’écrire des mots sur le papier que tu es en train de regarder par-dessus mon épaule
je te dis que ça me grattouille seulement.
D’accord pour «grattouille» !
Alors, comment vas-tu commencer là, maintenant ?
Maintenant, je regarde la page blanche et je me dis qu’il est bien dommage
que des mots n’aient pas eu l’idée de s’y poser tout seul
avant que je commence à la caresser avec ma plume.
Tu n’es quand même pas en train de me dire
que les mots écrivent le texte tout seul
sans que tu interviennes. Je ne te comprends pas.
Tu vois comment tu es.
Tu commences par m’agresser avec ton « Je » et maintenant,
tu veux que j’intervienne sur les mots.
Évidemment ! Les mots ne viennent pas tout seul.
Tu y es bien pour quelque chose quand les mots prennent forme sur la feuille.
Es-tu vraiment sûr de cela ? Les mots ne viendraient-il pas d’un autre ?
Un autre à qui tu ne pourrais pas poser ces questions, un autre que j’aiderais
parce que je tiens dans une main un outil d’écriture.
Et la feuille ? Tu oublies la feuille. Sans elle,
les mots resteraient des sons transmis de voix en voix comme un conte.
Tu as raison. J’allais oublier la feuille.
Vierge, elle attend que l’auteur se marie à elle
pour enfanter un mot, une phrase, un texte. Elle se livre corps et âme.
Tu n’es quand même pas en train de me dire cette fois-ci
que c’est la feuille qui fait le livre.
Je n’irai pas jusque là ; enfin, pas maintenant, pas au moment où la feuille
commence à se poser des questions sur notre discussion.
Serais-tu en train de me dire que mes interrogations n’ont pas d’importance ?
Je te rappelle que ce soit aussi les tiennes.
C’est vrai ! Voilà pourquoi je ne dirais pas ça, enfin pas comme ça,
pas aujourd’hui en tout cas,
parce que je te rappelle que je dois commencer un texte.